dimanche 23 octobre 2016

Interview de Klash 16 : Documentaire sur le Graffiti et le Street Art en Algérie


Interview accordée à l'association Yaumena qui abordait la question de l'espace public en Algérie sous forme de documentaire sur le graffiti et le street art à Alger. Bonne lecture !


Est-ce que tu pourrais te présenter brièvement ?


Je suis un artiste algérien né et grandi en Algérie. J’ai commencé à dessiner et à peindre depuis ma tendre enfance en alternant caricature, BD et peinture. Ma curiosité, parfois excessive, m’a poussé à m’intéresser à d’autres disciplines comme la calligraphie, le graffiti, le design graphique, le bodypainting, le tee shirt design et la photographie. Il n’est pas évident de faire tout cela à la fois mais c’est leur somme qui font de moi l’artiste que je suis. Elles ont forgé ma propre identité artistique.


Quand as-tu commencé à peindre des murs et surtout pourquoi ? Est ce que tu peux nous parler de cette période, au niveau politique et social en Algérie ? 


J’ai découvert le graffiti vers les 13-14 ans. Je faisais beaucoup de sketches (graffiti sur papier) et j’étais frustré de ne pas pouvoir le faire sur des murs qui étaient déjà envahis par des transcriptions souvent à connotation politique. Il faut savoir qu’à l’époque, l’Algérie connaissait sa plus grave crise politique et sociale depuis l’indépendance. Les murs étaient une sorte de témoins de ces bouleversements majeurs et qui ont eu définitivement un impact brutal sur le cours de l’histoire. Ces transcriptions traduisaient un certain marasme social et une revendication politique sous forme de slogans hostiles au pouvoir.
J’ai commencé par apposer mes gribouillis sur les murs qui se sont petit à petit transformés en tag d’un point de vu typiquement graffiti.


Tu dis vouloir entretenir une « contre-culture » qui peut faire changer les mentalités des algériens : d’où vient cette « contre-culture » ? Est elle issue de la période post décennie noire ou tu as commencé à tagger ? 


Elle ne vient pas de la décennie noire mais bien avant cela. La naissance d’une contre culture n’est que le résultat de plusieurs décennies de dictature, d’enfermement et de vouloir imposer la pensée unique à tout citoyen désireux d’exprimer une idée qui soit différente de ce que véhiculait les canaux officiels de la propagande du régime. Même la société était complice à travers l’idée de conserver, à tort, une certaine identité faite d’un mélange de traditions et de croyances religieuses ce qui réduisait drastiquement le champs des libertés individuelles et collectives. La contre culture existait déjà à cette époque, clandestinement certes, mais elle existait bien. Même certains acteurs y ont laissé leur peau.




Le street art est-il un élément de cette sous culture ou un moyen de la transmettre ? 


Absolument ! Quoi de mieux que la rue pour s’exprimer et faire passer un message ?! Surtout pour un algérien qui entretient une relation charnelle avec le mur et « El Houma » (le quartier). Le street art a cette capacité de rassembler toutes les formes d’art possible et les exposer publiquement et gratuitement dans la rue. La télévision, comme outil de propagande et d’asservissement intellectuel, a pénétré l’intimité de nos foyers pour violer nos esprits. Occupons la rue pour nous venger avec les plus belles des manières : l’Art !


Pourquoi choisir les murs et pas un autre support ? 


1/ On a droit à une sorte de tableau géant 2/ On y expose gratuitement 3/ On participe à l’embélissement de l’expace urbain et au rayonnement culturel de la ville. Ceux qui n’aiment pas ça, ils n’ont qu’à changer de trottoir ^^


Ton action est-elle considérée comme de la délinquance par les autorités et si oui dans cas pourquoi braver l’interdit ? 


La meilleure façon d’interdire un truc est de l’autoriser. Un art autorisé n’est plus de l’art. Je préfère brader l’interdit et garder ma liberté que de participer à toute forme de récupération ou évènement autorisé par des gens qui n’ont aucun respect pour les artistes (ou l’être humain tout court). Il se trouve que mes créations véhiculent un message politique. Je vous laisse le soin de deviner leur position par rapport à cela.


Comment choisis tu tes murs ? En fonction du passage, du quartier, de la qualité du revêtement ?


De tout cela et d’autres facteurs comme le thème, le message, la taille de l’œuvre et l’horaire.

Pour toi le street art est-il forcément engagé ?


Pas spécialement car la rue n’est pas seulement un espace où l’ont manifeste son ras le bol mais c’est aussi un espace de rencontres, d’échange, de détente. Tout simplement un espace de dialogue. Le street art reprend cette même règle. L’important est de créer quelque chose qui interpelle.

Est-ce que tu penses que le street art peut améliorer l’implication des jeunes en politique ?


Complètement. Personnellement, au début de la crise qui a déclenché la guerre civile en Algérie, j’ai remarqué une disparité entre le discours officiel que j’entendais à la télé et les slogans et affiches (caricatures, photomontages…etc) sur les murs de mon quartier. Les opposants exploitaient les murs pour faire passer leur message et sensibiliser les gens. Même si parfois les messages étaient radicaux, cela m’a rendu curieux, m’a poussé à réfléchir et à prendre conscience de certains éléments que j’ignorais


Tu penses que ça ne sert à rien d’être subtil : alors pourquoi utiliser des dessins plutôt que des mots ? Qu’est ce qui donne à un dessin plus de force qu’un texte ? 


La subtilité est employée dans certains contextes. Tout dépend du but et de l’étendue de l’action menée ou du message qu’on veut transmettre.
Le dessin et le texte sont tous deux pareils à mes yeux. Ce sont d’ailleurs deux formes d’expression que j’essaie d’associer pour apporter plus d’impact.


« La liberté on ne te la donne pas, tu l’arraches ». N’est-ce pas paradoxal avec ton engagement politique ? Ou espères-tu un jour que cette liberté pourra être donnée par des gens de confiance ? 


Bien au contraire. Elle est l’essence même de mes convictions. Le combat pour la liberté ne s’arrête jamais. Une fois acquise, le combat s’intensifie pour la sauvegarder.


Des rappeurs du groupe Democratoz disent qu’en Algérie, les artistes sont des chômeurs. Peux tu nous parler de la façon dont tu es vu par les jeunes d’une part, et part les autorités d’autre part ?


Un artiste est souvent victime de clichés et de marginalisation. On est bon que pour faire des portraits ou des logos. Il est vrai que la plupart sont fauchés sauf pour certains qui ont choisi un autre métier pour survivre ou faire de l’art mainstream pour bénéficier d’une exposition médiatique plus large. Je suis assez discret pour entretenir un quelconque rapport avec les autres. Mon monde artistique est intime, mes œuvres le sont un peu moins et je préfère parfois les partager sur le net. Je suis très attaché à ma liberté et à mon indépendance d’où le choix de rester loin des projecteurs. Quant aux autorités, j’ignore réellement ce qu’ils pensent de mes travaux mais j’aurai une idée plus précise le jour où je me ferai chopé ^^ 


Qu’est ce que tu penses de l’évolution du street art aujourd’hui à Alger et de la nouvelle génération de street artist ? Penses tu que « la renaissance artistique » de l’Algérie est en bonne voie ? 


Je suis très optimiste quant à l’avenir de la scène artistique en général et du street art en particulier. Il y a une génération prometteuse qui monte et qui a soif de liberté, de création et de changement « positif ». Cette génération a besoin de plus d’espace, de tolérance mais surtout d’encouragement. Par ailleurs, j’exclue vigoureusement toute tentative de récupération des artistes de la part des autorités à des fins très douteuses.


Pourquoi être parti à l’étranger, après avoir lutté autant pour la liberté en Algérie ? Qu’est ce que tu fais maintenant à l’étranger ? Est ce que tu es en contact avec la jeunesse du street art ? 


J’ai eu l’occasion de partir continuer mes études à l’étranger. Je bosse actuellement dans une boite de communication. C’est un choix personnel mais je n’ai jamais cessé mon art qui plaçait l’Algérie au centre de mes œuvres. C’est ma façon à moi d’entretenir une certaine relation avec mon pays ainsi que mes concitoyens. C’est une relation un peu compliquée. Un mélange de nostalgie, de désamour et d’espoir. Si vous cherchez le mot amour, vous le trouverez caché dans nostalgie. Ne me demandez pas pourquoi, c’est comme ça. Et c’est pour cela que c’est compliqué…

Interview réalisée par Pierre Sudan

Visionner le documentaire : Alger, Ma Ville, Mon Amour, Mon Quartier


PS : Ce n'est pas ma voix. Mon intervention a été lue par quelqu'un d'autre.



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